Du 8 au 11 novembre 2015 ont lieu de fortes tensions entre exilé·e·s et la police lors de tentatives de passage. Le gouvernement parle « d’émeutes » et accuse les militant·e·s « d’ultragauche » d’être à leur origine. Le mouvement No Border, qui milite pour l’ouverture des frontières et qui est présent à Calais depuis 2009, est nommément désigné. Des bénévoles britanniques sont brutalement arrêté·e·s dans le bidonville, puis relâché·e·s, avant qu’un militant soit arrêté le 12 novembre devant un local associatif en centre-ville. Il comparaît devant le tribunal de Boulogne-sur-Mer comme l’instigateur des « émeutes ». Il est relaxé.
Le 8 janvier 2016, la préfète du Pas-de-Calais annonce que le bidonville sera détruit d’ici la fin de l’hiver, et se répand sur les associations qui « font leur beurre » de la situation. Selon le plan des autorités, seul·e·s 2000 exilé·e·s pourraient rester à Calais, sur deux sites proches l’un de l’autre, un camp de containers alors en construction, et des tentes et préfabriqués. Les visites sont interdites sur ces deux sites qui sont gardés par des vigiles. Si c’est par la volonté des autorités et la pression de la police que les exilé·e·s ont été concentré·e·s sur le terrain, particulièrement inhospitalier et à l’écart de la ville, où se trouve aujourd’hui le bidonville, celui-ci a fait l’objet d’une énorme solidarité qui s’est traduite non seulement par la construction d’habitations, mais aussi de lieux collectifs, écoles, théâtre, cuisines, bibliothèque, radio, dispensaires, centre d’information juridique.
Le 23 janvier 2016 a lieu la plus importante manifestation de solidarité avec les exilé·e·s que Calais ait connue. À la fin, deux à trois cents exilé·e·s courent vers le port, certain·e·s y entrent et montent sur un ferry en cours de déchargement, des manifestant·e·s les ont suivi·e·s. La police les en déloge. Le ministère de l’intérieur communique sur les « troubles » causés par les manifestant·e·s « d’ultragauche » et les « No Border ». Huit personnes, six exilées et deux bénévoles français qui n’ont rien à voir avec No Border, et qui sont désignés comme les « facilitateurs » de l’abordage du ferry, doivent comparaître devant le tribunal de Boulogne-sur-Mer le 22 février.
Le 3 février 2016, le ministre de l’intérieur, flanqué du nouveau ministre de la justice, fulmine une interdiction générale des manifestations liées aux exilé·e·s à Calais risquant de provoquer des « troubles » quels que soient les organisateurs, et des contrôles d’identité aux accès du bidonville. Les contrôles d’identité sont mis en place puis abandonnés, suite à la protestation des syndicats de policiers contre la surcharge de travail. Pour l’instant, ce sont deux manifestations d’extrême-droite qui ont été interdites, il n’y en a pas eu d’autres.
Le 12 février 2016, la préfète du Pas-de-Calais annonce que les exilé·e·s habitant la moitié sud du bidonville ont une semaine pour déguerpir avant la destruction de leurs habitations et des lieux collectifs. Près de 3500 personnes sont concernées, dont plus 400 enfants.
Grande-Synthe – France. Un petit campement à proximité du terminal ferry de Dunkerque et d’un parking autoroutier où s’arrêtent des camions en route vers le Royaume-Uni. Quelques quatre-vingts personnes au printemps 2015, quatre cents en septembre, près de trois mille aujourd’hui. À la mi-décembre, des contrôles policiers sont mis en place à l’entrée du bidonville. Contrôle d’identité au faciès sur les bénévoles (pour une fois ce sont les gens qui ont l’air européen), fouille des sacs, interdiction d’apporter des tentes et des matériaux de construction. De manière arbitraire, la police peut interdire aussi l’apport de nourriture ou de vêtements. Pendant un mois, la préfecture a bloqué le projet de Médecins sans Frontières d’installer un camp de réfugié aux normes internationales sur un terrain voisin. Elle a finalement cédé, mais en imposant qu’il n’y ait aucune construction en dur, seulement des tentes.
Zeebruges – Belgique. Effet de la pression sur le littoral français, de plus en plus d’exilé·e·s tentent de passer au Royaume-Uni par le port de Zeebruges. Un prêtre ouvre son église à un groupe d’Iraniens. Le bourgmestre lui ordonne de la fermer. Le gouverneur de la province de Flandre-orientale invite à « ne pas nourrir les réfugiés ». Des rafles ont lieu pendant des distributions de repas, les effets personnels des exilés sont emmenés par les éboueurs. L’évêché proteste.
Île de Lesbos – Grèce. L’agence européenne Frontex de surveillance des frontières extérieures déploie son nouveau dispositif dans les îles grecques proches de la côte turque, lié à la création de « hotspots », centres de tri sommaire entre « réfugié·e·s » et « migrant·e·s économiques » qui ont « vocation » à être expulsé·e·s. Un accord de réadmission est conclu avec la Turquie, considérée comme un « pays sûr ». À Lesbos, courant janvier, les volontaires qui aident les exilé·e·s subissent des contrôles d’identité. Les autorités exigent maintenant une accréditation individuelle de chaque volontaire et de chaque association. Les bateaux utilisés par les associations pour le sauvetage en mer sont bloqués dans le port. Des volontaires sont poursuivis en justice pour avoir sauvé des exilé·e·s en mer et les avoir ramené·e·s sur l’île.
Bruxelles – Union européenne. La Commission européenne a le projet d’infléchir sa réglementation, qui jusqu’à présent protégeait explicitement l’aide humanitaire de poursuite pénales pour aide à l’entrée d’étrangers en situation irrégulière. Concernant le sauvetage en mer, seules seront autorisées à le faire les associations agréées par les autorités, avec obligation de ramener les personnes dans les ports correspondant aux « hotspots ». C’est ce qui s’est mis en place en Grèce en janvier.
Le « délit de solidarité », la répression de la solidarité, n’est pas nouveau dans l’Union européenne. Mais il revient en force, et il est en passe de se généraliser et de devenir une politique de l’UE. Contrôler ou réprimer l’action associative et bénévole. La question n’est plus seulement de savoir si nous devons être solidaires des exilé·e·s, mais dans quelle société nous voulons vivre.